samedi 14 novembre 2015

Dark and difficult times lie ahead

Image de Jean Jullien

En janvier dernier, Paris saignait avec le reste du monde en pleurant les victimes des attentats meurtriers de Charlie hebdo
J'étais loin d'imaginer devoir revivre le même grand huit émotionnel, les tripes nouées, les yeux rivés sur mes écrans, hébétée et abasourdie, si peu de temps après ces tragiques événements.
 
J'ai quitté Paris hier soir, pour retourner dans ma Picardie natale, et fêter mon anniversaire au calme avec ma famille. Nous sommes allés au théâtre voir "Paradis d'enfer", une pièce légère et drôle. Une bonne soirée.
Ce n'est qu'une fois rentrée chez nous, vers 23h que l'on a compris. Mon amie Jeanne appelle à 23h10, je passe le combiné à mon père, un peu surprise vu la rareté de l'événement et l'heure d'appel, pensant que c'était lié à une surprise pour mon anniversaire. J'entends sa voix inquiète et un peu trop haut perchée dans l'appareil. Je ne répondais pas à mon téléphone, des gens étaient morts ce soir et elle avait peur que je sois du nombre. Je la rassure, essaie de faire une blague, et je raccroche.

Nous allumons la télé.
Douche froide. 
 Et là, c'est l'horreur, la panique, les gens qui crient, les journalistes qui ont la voix qui monte dans les aiguës, et qui répètent sans interruption "Il est arrivé quelque chose", en boucle, à l'excès.
Je vois plein de messages sur mon téléphone rallumé. Je rassure tout le monde "je vais bien".
 Et la peur me glace tout à coup le sang. 
Qu'en est-il de tous les autres ?

Le grand défilé commence alors.
 Est-ce qu'untel va bien ? Et machin, ne devait-il pas être à Paris ce soir ? Et lui ? Et elle ? Comment vont-ils ? Je me jette sur facebook, mon téléphone, pour essayer de rassembler au plus vite toutes les preuves que tout le monde va bien.
Je n'ai jamais envoyé autant de "TOUT VA BIEN ???" en si peu de temps.
Certains sont chez eux, d'autres bloqués chez des amis, mais tout le monde est sauf.
Les visages des gens dont on n'a plus de nouvelles commencent à défiler sur les réseaux sociaux. Chaque reblog alourdit mon cœur, et très vite, je me sens dépassée et nauséeuse. 
Mais je ne peux m'empêcher d'appuyer sur "actualiser" toutes les deux secondes.
J'en ai le tournis.

Hier, nous avons atteint un cran de plus dans l'horreur.
 Les terroristes ont tués en nombre.
 Des innocents, des gens lambda, qui se trouvaient là, au mauvais endroit au mauvais moment. En janvier, certains essayent de se rassurer, en posant calmement sur la table, le pourquoi du comment, trouver une cause à toute cette folie, même la plus minime. 
Chez Charlie, c'était des dessinateurs de presse. 
Ils aimaient appuyer là où ça fait rire et c'est bien connu, les cons manquent d'humour.
Mais hier ? Manger une pizza serait donc devenu criminel ? Headbanger en rythme avec des amis à un concert, un outrage? Assister à un match de foot, une insulte ?
Ridicule. Absurde. Insensé.

Une nouvelle preuve abjecte que le terrorisme touche n'importe qui, n'importe quand, pour n'importe quel motif.

Je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a un mois, j'y étais au Bataclan.

 Debout, tout près des entrées qui donnent sur le balcon. Ce balcon dont des gens sont tombés, fusillés, la nuit dernière.
Que j'ai soupiré d'aise quand le vigile m'a laissée passer avec ma bouteille d'eau dans mon sac. Les premiers à être tombés hier.

Je suis défaite.

Au milieu de ce champ de guerre, une fois encore, la même peur qu'en janvier m'étreint.
Que vont penser les gens ?  Qui vont-ils accuser ? Les réfugiés syriens ? Les musulmans ? Tous les "autres" ?
Les voix des extrêmes s'élèvent déjà. Les gens se trompent de camp.
Et je me sens désemparée et impuissante.

En soufflant mes bougies il y a peu, on m'a dit que j'avais droit de faire un vœu.

Faites que la peur ne transforme pas les moutons en loups.
Faites qu'ils ne gagnent pas cette guerre.
  Faites que les gens ne perdent pas la raison.

Comme beaucoup, je n'ai pas pu faire grand chose aujourd'hui.
Difficile de se détendre, de se concentrer sur autre chose.

J'ai donc barbouillé pour exorciser, essayer de ne penser qu'au crayon sur la feuille, aux couleurs sur le papier.

Prenez soin de vous.

Dark and difficult times lie ahead